Interventions d’André Hussenet et de Michèle Sellier inspecteurs de l’éducation sans frontières le 6 juin 2019 au CNAM

Posté le Samedi 29 Juin 2019 à 11:54 par JacquesPerrin (1833 lectures)

Interventions d’André Hussenet et de Michèle Sellier

inspecteurs de l’éducation sans frontières

le 6 juin 2019 au CNAM

(faisant référence au texte « Pour un école de la confiance » publié dans le livre du CIRIEC-France « Éducation et intérêt général » alors que le ministre de l’Éducation nationale présente un projet de loi portant le même intitulé)

Introduction AH

Quand Albert Camus, après avoir reçu le prix Nobel, écrit à son instituteur Monsieur Germain : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé », il évoque une période où la confiance en l’école était une évidence totale et où le respect du maître allait de soi. La situation a dangereusement changé, c’est pourquoi nous avons proposé un texte « Pour une école de la confiance » au CIRIEC-France en contribution à son ouvrage «Éducation et intérêt général ».

Ce texte a été écrit plusieurs mois avant que naisse le projet de loi de Jean-Michel Blanquer et il n’y a eu aucun échange entre le ministre, son ministère et nous.

C’est dire que cette question de la confiance est devenue une priorité car la défiance à l’égard de l’école de la République grandit à proportion de l’accroissement des inégalités scolaires plus rapide encore que celui des inégalités sociales.

C’est dire que les responsables de ce jour et les anciens que nous sommes font les mêmes constats, puisent aux mêmes sources et cherchent des solutions qui se rejoignent. Si nos propositions sont souvent plus radicales, c’est aussi  parce que nous ne nous heurtons pas aux difficultés auxquelles sont confrontés les décideurs en place.

Suite de l’introduction MS

Le sous-titre du texte « Pour une école de la confiance », précise qu’il s’agit  de « propositions d’un groupe d’inspecteurs de l’éducation sans frontières (IESF) ». Qui sommes-nous ? Nous sommes des anciens responsables en qualité d’inspecteurs ou de décideurs qui avons créé une association pour nous mettre au service de projets éducatifs, à la demande d’organisations ou d’institutions internationales ou même françaises.  Nous nous présentons comme des experts en coopération éducative.

Au sein d’IESF, un groupe de réflexion a cherché à produire un texte qui se veut cohérent. Il n’est pas exhaustif. Mais il est clivant. Il n’a pas reçu l’adhésion de tous les adhérents d’IESF mais uniquement des signataires.

Aujourd’hui, nous avons choisi de mettre l’accent sur quelques thèmes communs à notre texte et au projet de loi du ministre qui fut adopté en 1ere lecture à l’Assemblée nationale le 19 février, puis amendé et adopté par le Sénat le 21 mai et qui vient de faire l’objet d’un accord en commission mixte paritaire le 13 juin :

- La formation des enseignants

- L’évaluation

- La création de nouveaux établissements d’enseignement scolaires

- La  gouvernance.

Je passe la parole, pour le 1er thème, à André Hussenet, président du Conseil de l’école de l ‘ESPE de Bretagne.

La formation des enseignants AH

            Depuis les écoles normales (supérieures et d’institutrices ou d’instituteurs, ENNA) les CPR (Centres pédagogiques régionaux), les IUFM, les ESPE, on cherche à concilier des contraintes politiques, financières, pédagogiques, syndicales, pour répondre à des enjeux qui se modifient au rythme des évolutions de la société.

Notre texte :

             Dans notre contribution, nous avons considéré que le moyen prioritaire pour améliorer la confiance dans l’école était de satisfaire l’exigence ressentie par la communauté des parents, de fonder cette confiance sur la qualité intellectuelle et professionnelle des enseignants qui sont le trésor de l’école.

             Pour simplifier jusqu’à la caricature, nous proposons une formation initiale profondément revue  simultanément disciplinaire et professionnelle, théorique et pratique étalée sur 5 années ; c’est à dire la fin du modèle successif actuel.

Pour le premier degré, nous proposons que la formation s’appuie sur une licence d’enseignement pluridisciplinaire regroupant toutes les disciplines qui figurent au programme  du primaire.

Pour le second degré, nous suggérons que la formation s’appuie sur des licences bi-disciplinaires, afin que les professeurs soient bivalents avec une majeure et une mineure et que les agrégés enseignent exclusivement de bac-1 à bac+3.

Déplorant la fin des MAFPEN, nous proposons une formation continue effective commençant par un tutorat d’au moins trois années et se prolongeant par une formation continue obligatoire, située  en dehors du service dû aux élèves mais comprise dans le service global annuel des enseignants : formation continue se traduisant par des certifications prises en compte dans l’évolution des carrières.

La formation des personnels dans le projet de loi :

Une volonté de recentralisation s’exprime dans le projet initial à travers :

- le changement d’intitulé des écoles de formation qui deviennent des « Instituts nationaux supérieursdu professorat et de l’éducation »,

- les modalités de désignation des directeurs qui ne sont plus nommés pour 5 ans (les candidats sont auditionnés par une commission coprésidée par le recteur et le président de l’université support, (nous sommes dans le pur affichage),

- la fixation par le ministère du référentiel de formation et pas seulement du cadre national de formation.

Une disposition controversée consiste à introduire une pré-professionnalisation en donnant la possibilité aux assistants d’éducation, inscrits dans des formations qui préparent aux concours, de se voir confier progressivement des fonctions pédagogiques d’enseignement ou d’éducation.

Tout cela est bien modeste.

    Le Sénat a ajouté :

- Le bénéfice pour les néo professeurs d’actions de formation pendant les 3 premières années d’exercice.

- Une formation continue obligatoire des enseignants en dehors des obligations de service et pouvant donner lieu à indemnisation, certification, délivrance d’un diplôme.

Le Sénat n’a pas hésité, donc pas plus que nous, à agiter le chiffon rouge.

En commission mixte paritaire, la formation continue obligatoire a été maintenue mais l’obligation de l’effectuer en dehors des obligations de service a été supprimée.

L’évaluation MS

Notre texte :

Nous cherchons à développer une culture de l’évaluation destinée à inspirer confiance : chacun doit rendre des comptes à tous les niveaux, local, régional, national ;

- les enseignants : le décret du 5 mai 2017  a prévu 3 rendez-vous en cours de carrière, mais il s’agit d’une évaluation ponctuelle et individuelle :

- nous préconisons plutôt une auto-évaluation aidée par des pairs ou des interlocuteurs de proximité,

- une évaluation d’équipes pédagogiques, (cf Europe) favorisant le travail collaboratif et solidaire.

En conséquence, la gestion de carrière des enseignants devrait se faire non au barème mais fonction des compétences et des responsabilités prises dans l’établissement.

- les établissements d’enseignement

Parallèlement au renforcement d’une autonomie accrue et exercée collectivement, les établissements devraient faire l’objet d’une réelle évaluation suivie d’effets:

- la culture d’auto-évaluation est à développer,

- des audits externes tous les 4 ans devraient être effectués (dans l’esprit de ceux  pratiquées en Écosse) encourageant l’auto-évaluation et la formation continue.

- Les chefs d’établissement

- appelés à recevoir une formation de véritables animateurs de projets pédagogiques,

- rendant compte en conseil d’administration des résultats du projet d’établissement, aux termes d’un contrat passé entre l’établissement, le rectorat et la collectivité locale concernée, selon les modalités d’évaluation prévues au contrat et précisant les conséquences tirées des audits externes.

- les académies

des évaluations régulières sont à organiser par des équipes comprenant des inspecteurs généraux, des universitaires, des élus, des experts, etc., selon une procédure d’audits.

- l’ensemble du système scolaire :

- il existe déjà des évaluations  externes  effectuées par : le CNESCO, les Commissions parlementaires, la Cour des Comptes, et au MEN, par la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance),

- les corps des inspecteurs devraient être réorganisées pour rompre avec les pratiques actuelles qui consistent à avoir des inspecteurs qui sont à la fois juges et parties : accompagnant les réformes et ensuite les évaluant ; nous préconisons de séparer les charges administratives des évaluations pédagogiques (en particulier pour les IEN) ; nous appelons de nos vœux une clarification des missions des inspecteurs qui devraient être centrées sur l’évaluation au sein d’une seule inspection pédagogique et administrative. Les inspecteurs deviendraient des « évaluateurs experts ».

Le projet de loi prévoit :

- La création du Conseil national d’évaluation (CNE) (art 9), perçue comme une reprise en main de l’évaluation, présentée comme une réponse au rapport de la Cour des comptes qui dénonçait l’absence de rapport global sur les performances du système scolaire ; le projet de loi présente le CNE comme la création d’une instance de coordination et de régulation au coeur même du MEN  comprenant 10 membres dont 4 représentants du ministre (choisis parmi les services d’évaluation du MEN) et 4 parlementaires (2 représentants de chaque chambre).

- La suppression du CNESCO créé par la loi de 2013 : ce conseil, chargé d’une évaluation scientifique, indépendante et régulière, était composé de 14 membres (2 parlementaires par chambre, 2 du CESE et 8 scientifiques travaillant avec un réseau français et étrangers ).

- L’évaluation des expérimentations (à la suite des critiques de la Cour des comptes qui dénonçait leur absence d’évaluation) ; de nouvelles règles de droit sont envisagées, plaçant les expérimentations sous la responsabilité du recteur,

- Le diagnostic régulier (annuel) des établissements est prévu aussi à terme, avec une équipe d’évaluateursexperts (1 600 devraient être formés) pluridisciplinaire, placée sous l’autorité du recteur ; on ne peut que se réjouir de cette initiative mais l’évaluation des établissements peut conduire au meilleur comme au pire selon la façon dont elle est mise en place.

- L’évaluation des personnels de direction figure également dans le projet de loi ; cette évaluation serait effectuée à partir d’une lettre de mission, tous les 3 ans ; l’important est de savoir quelles en seront les conséquences.

Les sénateurs avaient fait voter l’évaluation des professeurs des écoles par les directeurs qui n’auraient toujours pas bénéficié, par ailleurs, d’un statut, mais cet article a heureusement été supprimé en CMP.

La création de nouveaux établissements d’enseignement scolaire AH

Pour parodier Jouvet dans Drôle de drame de Prévert et Carné : « Bizarre, bizarre, comme c’est étrange  » nous proposons en effet, dans notre texte, la création d’un nouvel EPLE dénommé « École du socle commun » tandis que le projet de loi introduisait l’école des savoirs fondamentaux.

             Si l’on veut que « Le socle commun » ne  demeure pas un slogan, mais un des moyens prioritaires de lutter contre les inégalités, alors il convient de  réunir dans le même établissement le collège et les écoles qui lui envoient les élèves.

On retrouverait ainsi, près de 4 décennies après, la notion d’école fondamentale qui fut à l’origine de l’éclatement de la FEN, ce qui met en évidence la difficulté de la mise en place d’un tel projet.

Au demeurant, l’école des savoirs fondamentaux a été retirée du projet de loi par le Sénat et n’a pas été davantage retenue par la CMP.

 

             Je voudrais faire observer que la création d’EPLE internationaux proposée dans le projet de loi ne suscite pas d’opposition alors qu’ils réunissent au sein du même établissement les élèves de la maternelle au bac. Il est donc possible que la recherche de l’intérêt général ne soit pas le motif essentiel de l’opposition à l’école du socle ou des savoirs fondamentaux !

La gouvernance M

Notre texte

Nous préconisions une gouvernance fondée sur l’autonomie,  la responsabilité et  la décentralisation :

proche du terrain : des établissements autonomes et évalués et des chefs d’établissements responsables, ayant les moyens de piloter efficacement leur établissement, disposant davantage du choix de leurs enseignants (recrutés sur profil) utilisant une marge de manœuvre supplémentaire dans la gestion des moyens, des chefs d’établissement ne présidant plus leur CA mais rendant compte devant leur CA de la mise en œuvre de leur projet pédagogique,

inscrite dans la durée : à tous les échelons, nomination pour 4 ans, renouvelable un fois sauf faute grave, tous les responsables, hormis le ministre (le temps d’une législature serait souhaitable), assureraient ainsi la stabilité dans leurs fonctions de recteurs, de DASEN (représentant le recteur dans le département), de chefs d’établissement, chacun ayant du temps pour impulser une politique et en rendre compte en confiance,

demandant la création d’un Établissement Public Régional donnant à l’échelon administratif régional les moyens d’un pilotage efficace face à la région,  remplaçant le rectorat actuel, simple échelon déconcentré, sans budget propre ; le rectorat actuel deviendrait une personne morale autonome ayant les moyens d’une véritable politique, liant formation initiale, formation continue et formation tout au long de la vie ; le recteur ne présidant pas le CA et rendant compte devant le CA d’une politique académique menée avec la Région, en phase avec le parcours des élèves,

- réduisant le MEN à un rôle uniquement de stratège, fixant les grandes orientations et corrigeant les inégalités sur le terrain.

Le projet de loi

Le projet de loi est accusé d’autoritarisme, voire de dirigisme, un changement de gouvernance est ressenti par les personnels d’encadrement. Pour exemples :

la nomination des directeurs d’INSPE (un enjeu de gouvernance au coeur d’universités autonomes) qui seront à l’avenir choisis par les ministres, étant nommés sans précision de durée, après un avis motivé d’un comité d’audition du candidat nouvellement créé ; cette reprise en main de la formation des maîtres ne se justifierait que si les ministres avaient le véritable projet de modifier le continu de la formation.

-  la création du CNE, instance de pilotage plutôt que d’évaluation indépendante. Cette instance de pilotage au MEN a toute sa raison d’être si de réelles évaluations des établissements scolaires sont mises en place, mais dans ce cas, il n’aurait pas fallu supprimer le CNESCO, instance d’évaluation scientifique et indépendante, qu’il conviendrait de recréer, en lien avec des experts internationaux.

- l’habilitation du gouvernement à agir par ordonnance dans certains cas.

Conclusion de MS

Pourquoi une loi  alors même que le ministre avait juré qu’il n’en ferait pas !

Malheureusement, ce projet de loi apparaît surtout comme un fourre tout législatif, un coup d’épée dans l’eau, « beaucoup de bruit pour rien » et surtout une occasion manquée, en particulier, pour organiser en France une formation initiale exigeante des enseignants du primaire, une réelle formation continue de tous les enseignants et de construire enfin une école du socle !

On peut s’interroger sur les objectifs recherchés par Jean-Michel Blanquer ?

Ce ministre est un excellent technicien qui connaît parfaitement le système mais aussi un politique, tantôt conservateur (vantant la discipline ou l’uniforme... ) tantôt réformateur (il est le premier ministre qui ose s’attaquer à la réforme du bac).

Après un long état de grâce, il avait conservé la confiance de l’opinion mais il semble être en train de la perdre (si on se réfère aux  sondages)

Alors pourquoi ce projet de loi ?

C’est à André de nous donner la réponse.

Conclusion d’AH

  Jean-Michel Blanquer est le 187ème ministre chargé de l’instruction ou de l’éducation nationale en deux siècles. C’est dire le peu de mois dont dispose un ministre pour faire quelque chose ou laisser sa marque, par exemple en accolant son nom à une loi fut-elle « d’orientation », de « refondation », ou dans le cas présent : « pour une école de la confiance ».

  Le projet de loi sur l’école de la confiance comprend des dispositions qui nécessitent effectivement le recours à la loi, la scolarité obligatoire à 3 ans notamment, il serait malhonnête de ne pas le reconnaître.

  Je souhaite seulement rappeler que le changement dans l’éducation ne passe pas majoritairement par la loi :

- les ZEP, auxquelles l’ouvrage « Éducation et intérêt général » consacre un texte, sont nées d’une simple circulaire,

- on n’a pas recouru à la loi pour réduire le temps de présence en classe de l’équivalent d’une année entre 1969 et 2019 pour les élèves du primaire. Rappelons que jusqu’en 1969 les élèves du primaire bénéficiaient de la présence d’un maître ou d’une maîtresse 30 heures par semaine.

- Si nous approuvons totalement la décision du ministre de donner enfin priorité au primaire, observons qu’en toute incohérence, il a en même temps renoncé à la semaine de 4 jours et demi sans passer par la loi.

Soyons donc modestes et reconnaissons que prétendre « Savoir ce qu’il faut faire » ne signifie pas qu’on puisse le faire ! 

Toute décision de changement, de réforme impose une prise de risque, c’est la noblesse de l’exercice du pouvoir. La méthode utilisée et formalisée par Michel Rocard mérite sans doute d’être rappelée. Elle se résume en quatre points :                 

  • « Eviter de passer en force, ne jamais renoncer à de longues négociations, notamment avec les partenaires sociaux, laisser mûrir grâce à un consensus social et syndical. »
  • Préserver un caractère discret voire secret de la négociation. Quand les médias se mettent à discuter d’une réforme en cours, tout devient impossible car on symbolise et parce que sur les symboles on ne peut transiger, alors que sur les intérêts on le peut toujours. »
  • « On ne peut réussir une réforme si on se met un délai dans le dos. »
  • Enfin bien connaître ses dossiers est indispensable pour pouvoir prendre des risques. Le seul qui puisse prendre des risques c’est le patron, l’expertise ne suffit pas. »

 André Hussenet, inspecteur général EN et Michèle Sellier, ancienne rectrice et inspectrice générale EN et animateurs du groupe des inspecteurs de l’éducation sans frontière (IESF)